vendredi 6 janvier 2017

Injonction

Ce matin, comme Goldman, je marchais seul. Seul dans les rues de Rouen. Seul avec quelques livres dont je venais de faire l'acquisition. J'avais envie de boire un café. Je n'avais pas envie de le boire seul. Par expérience, je savais qu'il était plus agréable de le faire avec une femme. Bien sûr, j'ai vécu plusieurs expériences avec des hommes mais ce matin j'étais en quête de spiritualité, de culture, de subtilité. C'est ainsi qu'avec toute la délicatesse dont je suis capable, je me mis à aborder des femmes pour leur proposer de boire un café ensemble. Je pris soin de leur faire part de ma quête. Est-ce ma tête de repris de justice, mes grandes mains, mes grandes oreilles, ma grosse voix, toujours est-il que je n'ai essuyé que des refus et les larmes qu'ils ont occasionnées. L'envie de café ne m'ayant pas quitté, je me suis retrouvé seul face à une tasse sans charme au café des Carmes. Et là, après avoir, faute de mieux, retourné mes nouveaux livres dans tous les sens, je laissai la rue me distraire. J'y vis un homme. Un homme, vêtu à la gentleman farmer, qui promenait deux chiens. Deux chiens qui agissaient comme des chiens. Ils reniflaient tout en tirant sur leur laisse. L'homme, grand, en cela qu'il mesurait plus d'un mètre soixante-quinze, d'une grandeur avoisinant les un mètre quatre-vingt-dix et précédé d'un embonpoint de retraité, offrait au regard de tout un chacun l'image de la sérénité de celui qui maîtrise tant son environnement que sa vie. Alors que tout semblait sur les rails, je le vis secoué d'une nerveuse agitation. Se répandait sur son visage la panique, dont j'ignorais encore l'origine. D'un seul coup, les chiens passaient du rôle de marqueur du statut social de leur propriétaire à celui de choses embarrassantes. Contraint de tenir leur laisse d'une seule main, il plongea l'autre dans une poche intérieure de son manteau. Ne parvenant pas à extraire ce qu'il cherchait, sa quête devint frénétique. Quant à eux, les chiens continuaient d'être des chiens. L'homme, délaissé par la sérénité, finit par extirper l'objet. Un portable. Dans sa main gauche deux laisses, dans la droite le portable. Souhaitant à tout prix répondre à son correspondant, il entreprit, à l'aide d'un doigt de sa main gauche, d'appuyer sur l'écran. Mais la précipitation dont il fit preuve ajoutée aux chiens qui continuaient d'agir comme des chiens, empêchait son doigt d'atteindre le point qui lui aurait permis d'entrer en contact. Pour obtenir davantage de latitude, il tira sur les deux laisses tendues. Peut-être trop brusquement. En réaction, les chiens tirèrent vigoureusement emportant leur propriétaire qui disparut de ma vue.

Aucun commentaire: